MARDI 30 juin, 16ème jour de trek :
Mauvaise nuit, la tente est inclinée, nous dériboulons lentement, Yvon a mal au crâne, et j’ai la déripette. Les chiens, à 1 km, ne cessent d’aboyer. Réveil à 5h30 et sursis jusqu’à 6h. Froid glacial pour les mains, et départ en polaire. Le soleil se lève.
Mauvaise nuit, la tente est inclinée, nous dériboulons lentement, Yvon a mal au crâne, et j’ai la déripette. Les chiens, à 1 km, ne cessent d’aboyer. Réveil à 5h30 et sursis jusqu’à 6h. Froid glacial pour les mains, et départ en polaire. Le soleil se lève.
Nous rejoignons la route d'Aligoudarz, puis le village voisin pour trouver de l’eau, chez une femme timorée. Après un petit-déjeuner de gâteaux, pain et beurre, au carrefour d'une piste où nous regardons passivement traverser moutons et chèvres sous la houlette précise de trois adolescents, nous nous heurtons à un village de vacances clos sur un étang marécageux, et cherchons en vain un sentier. Nous ne sommes plus habitués au trafic routier et il est hors de question d'emprunter le bitume. Ni, disons-le, d'être en situation de "contrôle".
Le sentier, nous le dénichons plus loin, du côté gauche de la route, qui se dirige, à vue d’œil, à travers champs vers le nord. Un jeune homme soutient mordicus que ce n’est pas possible d’aller par là « piâde » jusqu’à Aligoudarz. Sa mère qui comprend notre rejet des mâchinn, kâmioun, et autres otoubous, sur la khiâboun (route), confirme notre choix. C’est une originale ! Pour tous les autres iraniens, il n’y a que l’Asphalte qui compte, et il faut l’emprunter en voiture, taxi ou minibus, à la rigueur en tracteur, mais jamais, non jamais à pied ! Âsfâlt, il faut le savoir, est un mot persan, et on l’utilise autant qu’on l’emprunte. C’est vrai qu’il n’y a pas de chemins pédestres organisés, évidemment, mais des pistes villageoises un peu imprévisibles, sur lesquelles nous sommes très doués pour ne pas perdre le nord.
Mais pourquoi marcher ? Quel est votre but ? Où est votre voiture ?
Je réponds que nous faisons du « sport », et on veut alors systématiquement nous envoyer en montagne faire de l’alpinisme, c’est plus prestigieux.
Nous croisons des tentes du Croissant Rouge, utilisées lors de la guerre Iran-Irak lorsque toute la population du Khouzestân, ou presque, a dû fuir les chars et les bombardements de l'envahisseur.
Nous rencontrons des ouvriers agricoles dans des champs bâchés, où ils plantent des pastèques.
Nous arrivons dans un hameau aux trois-quarts en ruines, et demandons de l’eau à un petit garçon, qui nous mène chez lui où sa mère nous invite à entrer. C’est la première fois que nous sommes reçus hors de la présence des hommes, et où une femme nous tient compagnie. Elle est réservée, mais se détend avec naturel et enjouement. Elle nous apprend qu’elles sont deux épouses pour l’homme de la maison, et qu’elle est la plus jeune. L’autre est, de fait, beaucoup plus discrète. Nous ne comprenons pas bien si les dix garçons et les trois filles sont les siens propres, ou ceux de la maisonnée. Par mansuétude, je penche pour la seconde hypothèse. Les enfants se font photographier, toujours sérieux comme des papes devant l'appareil malgré mes exigences pour « voir leurs dents » : à ce moment j’ai oublié comment dire "sourire". Quel cancre ! Ils se moquent de moi avec des fous rires, et veulent échanger ma gourde rouge contre une bouteille de plastique.
Ensuite, c’est la fournaise, 39°6, avec un léger souffle par moments, mais nous avançons, avant de nous réfugier au bout d'une heure dans une carrière de marbre. Là, nous constatons que nos sacs ont été visités : plus de couteaux ni dans l’un, ni dans l’autre, plus de jumelles, plus de biscuits… Le couteau suisse était notre seul ouvre-boîte pour le thon. Par miracle, le passeport d’Yvon et nos devises n’ont pas disparu ! Je décide de retourner dans la maison de ces petits chenapans, et Yvon va garder les sacs pendant deux heures. Dans la cour, les chiens se jettent sur moi malgré les ultrasons, et l’un déchire largement mon pantalon, sans trop érafler mon mollet, et sans déclencher d’émotion chez les habitants. Deux hommes fument le qaliân et la « coca ». Le qaliân, ici, c’est simplement le narguilé. Avec diplomatie, j’explique que j’ai « oublié » mes couteaux et mes jumelles dans la maison, et qu’il faut m’aider à les retrouver. Aucune réaction, car ils étaient à Aligoudarz, ne savent rien, et restent affalés par terre. Leur apathie cache mal leur mauvaise volonté. Le père présumé des 13 enfants a une tête de potentat déclassé, et je suspecte sa connivence. Je me résigne à m’en aller bredouille et en lambeaux, mais j’affirme qu’il y a un voleur dans la maison. Cela ne les émeut pas plus. Tant pis, qu’ils ruminent ! Ils sauront que je ne suis pas dupe. Yvon me voit revenir bien dépité. Inch'Allah. D'ailleurs, c'est écrit sur le champ, regardez bien...
J’ai vu un lièvre, et plus tard un curieux scorpion mâtiné d’araignée, instable et caractériel alors que je veux le photographier. Nous mettons le cap sur le premier village visible, car je suis « déshydraté », et nous sommes accueillis dans une belle maison où les tapis abondent, et où les poutres des hauts plafonds, blondes, en peuplier, éclairent les pièces. Jus de citron frais, pain, mâst, concombres, fromage et thé nous comblent. Dans ce luxe, je suis un peu surpris par les toilettes extérieures, dont le portillon à claire-voie, muni d’un loquet en vieux câble, cache mal un simple trou dans le sol et un broc d’eau. Rien d’autre, rien de rien, mais c’est l’essentiel. Notre hôte nous guide sur une crête voisine, et nous indique le chemin à vol d’oiseau, à travers vallons et champs. Après avoir quand même proposé sa voiture, voilà le second qui ne nous envoie pas d’office sur l’asphalte ! Il est déjà 7h et nous décidons de camper dans une bergerie moderne désaffectée, où les grandes stalles nues en béton feront un décor à la Enki Bilal. Il nous manque le maquillage bleu. Mais un type nous apostrophe et nous déloge : malgré toute sa bonne volonté, il ne peut imaginer que nous soyons des héros de bande dessinée, et veut nous coucher prosaïquement sous un toit. Il me saisit fermement par un bras quand je refuse, et ce contact est très nocif : nos ondes s’affrontent. Vous savez maintenant que les miennes sont cosmiques, et mal maîtrisées je l’avoue, et alors j’explose. Décontenancé, il a recours aux merveilles de la technologie terrestre et saisit son portable. Je n’ai pas d’arme équivalente, mais j’en profite pour m’esquiver. Nous forçons la marche en pestant, jusqu’au crépuscule. Une cuvette dans un champ de blé nous protège alors des regards. Nous n’avons plus aucun couteau pour ménager une sortie par l’arrière de la tente…
Je réponds que nous faisons du « sport », et on veut alors systématiquement nous envoyer en montagne faire de l’alpinisme, c’est plus prestigieux.
Nous croisons des tentes du Croissant Rouge, utilisées lors de la guerre Iran-Irak lorsque toute la population du Khouzestân, ou presque, a dû fuir les chars et les bombardements de l'envahisseur.
Nous rencontrons des ouvriers agricoles dans des champs bâchés, où ils plantent des pastèques.
Nous arrivons dans un hameau aux trois-quarts en ruines, et demandons de l’eau à un petit garçon, qui nous mène chez lui où sa mère nous invite à entrer. C’est la première fois que nous sommes reçus hors de la présence des hommes, et où une femme nous tient compagnie. Elle est réservée, mais se détend avec naturel et enjouement. Elle nous apprend qu’elles sont deux épouses pour l’homme de la maison, et qu’elle est la plus jeune. L’autre est, de fait, beaucoup plus discrète. Nous ne comprenons pas bien si les dix garçons et les trois filles sont les siens propres, ou ceux de la maisonnée. Par mansuétude, je penche pour la seconde hypothèse. Les enfants se font photographier, toujours sérieux comme des papes devant l'appareil malgré mes exigences pour « voir leurs dents » : à ce moment j’ai oublié comment dire "sourire". Quel cancre ! Ils se moquent de moi avec des fous rires, et veulent échanger ma gourde rouge contre une bouteille de plastique.
Ensuite, c’est la fournaise, 39°6, avec un léger souffle par moments, mais nous avançons, avant de nous réfugier au bout d'une heure dans une carrière de marbre. Là, nous constatons que nos sacs ont été visités : plus de couteaux ni dans l’un, ni dans l’autre, plus de jumelles, plus de biscuits… Le couteau suisse était notre seul ouvre-boîte pour le thon. Par miracle, le passeport d’Yvon et nos devises n’ont pas disparu ! Je décide de retourner dans la maison de ces petits chenapans, et Yvon va garder les sacs pendant deux heures. Dans la cour, les chiens se jettent sur moi malgré les ultrasons, et l’un déchire largement mon pantalon, sans trop érafler mon mollet, et sans déclencher d’émotion chez les habitants. Deux hommes fument le qaliân et la « coca ». Le qaliân, ici, c’est simplement le narguilé. Avec diplomatie, j’explique que j’ai « oublié » mes couteaux et mes jumelles dans la maison, et qu’il faut m’aider à les retrouver. Aucune réaction, car ils étaient à Aligoudarz, ne savent rien, et restent affalés par terre. Leur apathie cache mal leur mauvaise volonté. Le père présumé des 13 enfants a une tête de potentat déclassé, et je suspecte sa connivence. Je me résigne à m’en aller bredouille et en lambeaux, mais j’affirme qu’il y a un voleur dans la maison. Cela ne les émeut pas plus. Tant pis, qu’ils ruminent ! Ils sauront que je ne suis pas dupe. Yvon me voit revenir bien dépité. Inch'Allah. D'ailleurs, c'est écrit sur le champ, regardez bien...
J’ai vu un lièvre, et plus tard un curieux scorpion mâtiné d’araignée, instable et caractériel alors que je veux le photographier. Nous mettons le cap sur le premier village visible, car je suis « déshydraté », et nous sommes accueillis dans une belle maison où les tapis abondent, et où les poutres des hauts plafonds, blondes, en peuplier, éclairent les pièces. Jus de citron frais, pain, mâst, concombres, fromage et thé nous comblent. Dans ce luxe, je suis un peu surpris par les toilettes extérieures, dont le portillon à claire-voie, muni d’un loquet en vieux câble, cache mal un simple trou dans le sol et un broc d’eau. Rien d’autre, rien de rien, mais c’est l’essentiel. Notre hôte nous guide sur une crête voisine, et nous indique le chemin à vol d’oiseau, à travers vallons et champs. Après avoir quand même proposé sa voiture, voilà le second qui ne nous envoie pas d’office sur l’asphalte ! Il est déjà 7h et nous décidons de camper dans une bergerie moderne désaffectée, où les grandes stalles nues en béton feront un décor à la Enki Bilal. Il nous manque le maquillage bleu. Mais un type nous apostrophe et nous déloge : malgré toute sa bonne volonté, il ne peut imaginer que nous soyons des héros de bande dessinée, et veut nous coucher prosaïquement sous un toit. Il me saisit fermement par un bras quand je refuse, et ce contact est très nocif : nos ondes s’affrontent. Vous savez maintenant que les miennes sont cosmiques, et mal maîtrisées je l’avoue, et alors j’explose. Décontenancé, il a recours aux merveilles de la technologie terrestre et saisit son portable. Je n’ai pas d’arme équivalente, mais j’en profite pour m’esquiver. Nous forçons la marche en pestant, jusqu’au crépuscule. Une cuvette dans un champ de blé nous protège alors des regards. Nous n’avons plus aucun couteau pour ménager une sortie par l’arrière de la tente…