Séduire l'administration

SAMEDI 13 JUIN, de Chirâz à Chahrekord, 9ème jour :

Nous hélons la première voiture venue : un vrai taxi jaune ! Du coup, nous ne marchandons pas vraiment, et j’imagine benoîtement que l’adresse et les questions en persan nous sont favorables : 2 khomeinys, ça va, khoub-é. Sommes pile à l’ouverture de l’édâré gozarnâmé, le bureau des passeports. Le petit soldat, à l’accueil est ravi de dire trois mots en français, et plaide en notre faveur. Le raïs tergiverse : un mois maximum, puis une seconde « extension » possible. « Nous avons nos billets d’avion, belit-e havâpeimâ, et nos femmes, hamsar-hâ-yémoun, viennent en Iran pour le mois de mordâd, et à Esfahân comme à Paris les employés aux visas ne sont pas gentils… » Bref, grand jeu sentimental, persanophone, et victorieux ! Avant le résultat des élections dont nous craignons les répercussions, nous gagnons nos visas pour sept semaines !! Mais nous payons le double : passage à la banque, car pas assez de rials en poche, avec deux taxis que nous marchandons à 1,5 khomeiny (taxi collectif, et taxi pas du tout). Au retour devant le bureau, j’ai perdu les précieux reçus !!! Palpitations, désespoir et regard hagard ! Ah ! Ils sont là, sur l’avenue, par terre, dans le flot de la circulation !
Au bout d’une autre heure, nous avons tous nos cachets, jusqu’au 1er août.
On a gagné !



Nous croyons comprendre qu’Ahmadinejad aussi… Du jour au lendemain, c’est hyper rapide comme dépouillement, alors qu’on nous avait annoncé les résultats pour lundi ou mardi…
Nous cherchons un car pour Ispahan, et rechignons à payer le supplément pour le car VIP. Nous choisissons le suivant ; « ok ! Prenez le VIP tout de suite au prix ordinaire ». Le VIP, c’est : fauteuils allongés, jus de fruit, pistaches… Nous sommes les rois, pour quelques euros. Arrêt dans un restaurant et non un bouiboui, où on me demande si je suis turc ou italien ; à Kermân, j’étais belge ou … japonais ! Les iraniens sont peu physionomistes.
A Esfahân, un premier bus puis un second pour le terminal Zayandeh : le car pour Chahrekord nous attendait et nous sautons dedans, de plus en plus couleur locale.
A Chahrekord, « l’intendant » du car nous cornaque dans un hôtel où nous refusons la chambre à 30 euros, avec hamâm (douche), et télé. Nous échouons dans une mossâferkhâné, une auberge pour saisonniers et globe-trotters, avec deux lavabos pour 50 lits, sans clim : deux paillasses dans une « chambre à trois », rien que pour nous deux, avec le droit de fermer à clef, mais avec un carreau cassé. Je renâcle à confier mon passeport qui va dormir dans un tiroir ouvert aux quatre vents, mais mes lamentations sont sans effet. La mossâferkhâné a déjà reçu des pakistanais et des allemands, et même un irano-suédois, mais avec deux français à son actif, cela fera très chic dorénavant. Par précaution, nous prenons un somnifère et dormons comme des loirs.

DIMANCHE 14 JUIN, 10ème jour,
1er jour de trek, à partir de Sâmâm :

Nous refusons de payer mille tomans de plus que convenu au tenancier : dah hézâr toman qui devenaient yâzdah hezâr toman. Quand je prétends être certain de ma compréhension, il a le sourire.



Petit déjeuner à l’extérieur : on nous propose des têtes de moutons archi-cuites qui mijotent. Nous aurons leur bouillon gras agrémenté d’âblimou (jus de citron). Yvon déteste, mais le pain et le thé sont bons. Je bois mon bouillon seul. Pas de kâfi-net ouvert… Chipotons pour trois sous un taxi, et nous nous retrouvons dans un bus, puis dans un minibus pour Sâmân, à l’arrière gauche. A l’arrivée le chauffeur veut nous « promener ». Nous refusons : alors, il nous emmène faire nos courses : oranges, bananes, pain, eau. Nous partons à pied !! Piâde !!



Quelques kilomètres sur la route, puis nous longeons un ruisseau. Les peupliers aux troncs nacrés sont ceux de Nicolas Bouvier. Aboutissons à la Zâyandeh au plein de son lit ! Nous la longeons rive droite jusqu’à la maison d’un professeur qui nous accueille : thé, cerises, sucreries. Le père est pour Ahmadinejad, le fils non. Nous restons discrets. Puis rive gauche, le cours est très sinueux et les berges parfois abruptes, mais nous empruntons le canal d’irrigation qui longe la rivière : eau jusqu’aux mollets à contre-courant. Ensuite beaucoup de difficultés, nous perdons le cours, montons sur le plateau, et nous nous égarons dans un verger accidenté, immense, puis tombons sur un village, et retrouvons la rivière.
Des garçons d’environ dix ans nous accompagnent, et nous parlent sur un ton péremptoire : gousfand némichnassi !! Tu connais pas le mouton ! Ils sont comiques et bavards. Je peine à suivre leur conversation, c’est à dire que je ne suis pas souvent. Pour eux, Yvon est un cas unique et inimaginable d’imperméabilité totale au farsi (langue effectivement universelle pour beaucoup d’iraniens).



Nous remontons une crête, redescendons, sommes à nouveau englués dans la boue, attaquons une autre crête (les crêtes font au moins deux cents mètres de dénivelé), redescendons sur un petit chantier idyllique malgré des parpaings.



Et, pour la première fois, nous montons la tente, sur une terrasse circulaire qui empiète sur la rivière, à peine assez grande : nous allons être bercés, ou plutôt rêver d’être essorés toute la nuit. Ensuite bain dans le canal d’irrigation à l’abri des regards : le courant est assez fort pour se laisser flotter sur le dos accroché à un tronc transversal. Propres et frais dans cette eau à 15-16 °, nous faisons notre lessive.
Dîner : bananes en bouillie, compote des monts d’Arrée, pain à « trous », oranges et… un carambar.
Au lit ! J’ai mis ma polaire pour écrire.

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