Échapper à la noyade

LUNDI 29 juin, 15ème jour de trek :



Nous avons réglé le réveil à 5h30. Il fait trop chaud entre 13h et 16h. La température est parfaite au lever du jour.

 

Nous commençons par une longue et lente ascension, puis redescendons sur un canal d’irrigation tout neuf, avec un fort débit entre des murets de pierre, qui nous mène dans un étroit défilé.  Au passage devant un hameau, un  paysan nous accompagne et, comme vous voyez, je laisse Yvon s'exprimer avec effusion en lori.  Evidemment, je tends l'oreille par curiosité, et un brin perplexe : dans ces campagnes, nous n'avons jamais rencontré d'interlocuteur anglophone et encore moins francophone, et là ils n'utilisent même pas leurs mains. Yvon est trop doué !
Par contre, je réalise qu'il porte son pantalon percé : d'un côté la déchirure est discrète, mais de l'autre la poche passe au travers. De quoi avons-nous l'air !


 
Hélas, le chemin bute sans issue sur un éboulement du canal qui s’échappe en une puissante cascade bouillonnante. Le passage est possible grâce à trois grosses pierres à moitié submergées dans les remous. Yvon tente la traversée, s’élance : je le vois glisser sur la pierre du milieu, sur laquelle il plonge à plat ventre, et s’y cramponner, à deux doigts d’être emporté.  Il est trempé jusqu’à la taille, mais son sac est sec. Son tibia droit est à vif. Et où serais-je allé chercher des secours, s'il s'était fracturé, noyé et congelé ? Je ne suis pas faraud, et lui lance mon sac de toutes mes forces avec succès. J’étais nul au lycée en lancer de poids, mais la situation exige de vraies prouesses. Fort de cet exploit, je lance mes lunettes, mon chapeau, et ma polaire précieuse qui rembourre ma carcasse. Je m’aventure ainsi allégé, non comme un cabri écervelé, mais comme une araignée hydrophobe. Ça marche sans grande élégance, et je ne mouille qu’un seul pied.



Ensuite le défilé prend des allures de canyon, et nous cheminons sous des aubépines et des saules qui ont les pieds dans l’eau, puis nous remontons sur la crête péniblement.


 
Nous redescendons sur un chantier de grands travaux pour un tunnel-aqueduc, et je suis allé chercher cette photo dans la collection d'Yvon, car depuis notre interrogatoire à Massir, je tremble pour mes photos des élections, et je n'aggrave pas mon cas : nous ne savons jamais ce qui est franchement autorisé. Là, avec certitude, je prétends qu'il est trop facile de nous reprocher ce cliché...
Puis nous entrons dans des champs en quête de thé, mais je confonds le vocabulaire, et nous voilà penauds avec des feuilles de thé en sachet que le gamin est allé chercher en courant dans sa tente, et nous n'allons quand même pas faire la fine bouche. « khochk » pour ce thé proposé signifie en effet "sec" : j’apprends le mot studieusement.
La plaine molle qui suit est dominée par une chaîne striée de neige. Une brume de chaleur estompe l’horizon.



En croisant un canal cimenté et propre, où le courant est glacial,  je prends un bain, flottant allongé sur le dos. En short, je me réfugie sous un petit pont au passage d’une moto, persuadé qu’elle ne pourra résister à la tentation d’une conversation malgré ma tenue.
Eh bien, non ! Elle ne ralentit pas.
L’épicerie de Tchanegong est pauvre, sur terre battue, dans un village où les filles lavent la laine tondue à même le caniveau. Nous y trouvons des jus de fruit, des gâteaux fourrés, de la confiture, et on nous offre généreusement le pain et le beurre avec le sourire. Nous allons déjeuner, comblés par cette générosité, mais accablés par la chaleur, hors du village, dans un verger de jeunes noyers, à l’ombre certes, mais dans un nuage de mouches qui diabolisent notre sieste.
Deux gars à moto viennent nous chercher pour un thé servi dans la belle maison du village minable : grandes pièces de réception couvertes de tapis, où télévision et ordinateur trônent. Nous sommes à nouveau surpris par le décalage entre l’environnement et le luxe intérieur. En fait, à 16h30 c’est un repas complet pour nous avec spaghettis bolognaise par assiettées, dough et mâst à volonté : ma fringale permanente me permet de tout ingurgiter, mais pour Yvon, c’est un peu pénible. Nous laissons voir nos photos sur l’écran, et il y a un petit flottement dans l'air quand je flotte dans l'eau... Nos hôtes semblent bien peu respectueux de l’ayatollah Khomeiny, et regrettent l’ancien régime.



Nous repartons sur une piste poussiéreuse et fréquentée qui nous assomme.  Cola et cerises dans un village. A la recherche d’un coin pour dormir, nous échouons à l’entrée d’un autre village, où un pont enjambe un ruisseau dégoûtant, où les enfants braillent à qui mieux mieux, où les chiens aboient en chœur, et où un sale type ingurgite nos cerises négligemment sans un merci. Son vocabulaire est effroyablement stérile et cauchemardesque. Ce soir, je suis muet, définitivement.
Aïe ! Yvon ne sait pas dire « muet » en persan !



Nous battons en retraite, hors de vue, dans les blés : la tente noire est superbe dans l’or et sous la lune.

4 commentaires:

  1. On aurait aimé une photo de la traversée périlleuse ;-)

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  2. Mais elle était trop périlleuse pour sortir l'appareil ! et nous n'y avons même pas pensé.

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  3. Tu m'avais promis d'en prendre soin et je n'avais pas d'inquiétude mais cette traversée périlleuse est aussi bien sans photo.
    Quel bonheur, quel talent;
    Je connais déjà l'histoire mais je ne m'en lasse pas.

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  4. Oui, j'avais promis. Mais c'était un peu prétentieux...
    Si je dois remercier quelqu'un, c'est bien toi, pour être parti avec ta bénédiction.

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