Mon ami, ce gredin

VENDREDI 19 JUIN, Châdegân,
djom'é, jour de repos, pas de TREK

Je m’aperçois, dans la glace, que mon grain de beauté, épaule droite, a été à moitié arraché par la sangle du sac. Décidément, ce sac a tous les défauts ! Matinée au local internet : un seul ordi fonctionne. Je demande RdV chez la dermato de Morlaix, en supposant que je me chouchoute beaucoup trop… Messages à Sylvie, Marie-Hélène, Afrooz, mail commun à tout le carnet.



Déjeuner : mâst et riz, « bière », âbmivé (jus de fruit).
A côté de nous, la table est occupée par trois policiers. Je ne peux en faire abstraction. Mais non, rien : nous ne sommes pas inquiétés, et pourtant nous sommes un peu inquiets. C’est ça, la bonne conscience. Il faut dire que les mails et les commentaires locaux suggèrent que le calme n’est pas revenu, loin de là. Le mail de Sylvie est celui d’une aficionados d’Ahmadinejad ! C’est cousu de fil blanc. Les nôtres n’abordent pas les sujets qui fâchent, c’est vie quotidienne, petits bobos, étincelles dans les yeux, pas de junkies à nos côtés, pas de barbelés sur 5 km, pas de flots tumultueux sous les barrages, pas de camping sauvage…
Et, comme dit Yvon, pourtant nous n’avons rien à nous reprocher.
La petite souris souriante en tchâdor qui tient internet est en retard, et j’écris sur le trottoir, à l’ombre d’un acacia.
C’est djom’e, jour de prière, et beaucoup d’échoppes sont fermées. Les retardataires courent vers la mosquée dans leurs tchâdors qui faseyent.



Quatre militaires, kalachnikov au bras, gardent l’entrée du lieu saint : je leur demande pourquoi religion et armée se côtoient ainsi. Je crois comprendre que c’est pour surveiller les imams : les avoir à l’œil ou les protéger ? Ils refusent la photo, j’en étais sûr, mais ça faisait copain copain de la proposer, non ? Du coup, ils nous accompagnent dans la cour de la mosquée, et nous nous trouvons face aux fidèles, femmes à droite, hommes à gauche. Nous craignons de les distraire.
Quant à cette photo virtuelle à la gloire de l’armée, ai-je glissé un pied dans une porte entrebâillée ou mis un doigt dans l’engrenage ? Un pied, cette fois. Mais nous sommes ainsi souvent sur le fil du rasoir avec cette appréhension entretenue par les mails, alors que la tension n’est pas palpable. Cette dichotomie nous perturbe un peu quand nous croisons les forces de l’ordre. Pourtant les gens parlent encore volontiers de leurs choix politiques sans précaution apparente. Ahmadinejad est parti pour Moscou, et j’en déduis qu’il maîtrise la situation. Je n’en oublie pas pour autant la schizophrénie ambiante et l’art des apparences, et je modère mon optimisme.
Yvon retourne sur internet, un seul poste, et je garde la plume, ou plutôt le crayon noir que je taille. Alors j’écris, en tout bien tout honneur, que je surveille les fesses d’Yvon depuis quatre jours, car y sont apparus un petit trou à droite, dans son pantalon, puis un déchirure effilochée, puis des couleurs noires et bleues, puis Yvon ne tournait plus le dos à personne. Maintenant son pantalon est chez un couturier, que connaît le gars du resto où nous avons notre table, et nous le récupérerons demain, à 9 h. Vu la largeur du trou, après reprise conséquente je crains qu’il n’y ait plus que moi pour entrer dans ce pantalon. En attendant Yvon écrit, assis, devant son écran. Je continue moi aussi.
Parlons de ce petit connard, pas plus baraqué que moi, Ahmad Shâriati, micro-gueule de mafieux gominé, coiffeur sur terre battue de son état. Vous avez bien enregistré qu’il nous logeait à prix d’or.
Eh bien, voilà qu’il est revenu « chez nous » avec une lettre en anglais, écrite en caractères persans, qu’il lit en ânonnant pour préciser que si nous avons bien loué sa maison deux nuits d’affilée, nous avions oublié de louer le jour intermédiaire ! Mon sang ne fait qu’un tour, et merci Mollâ Nasroddin, j’ai le vocabulaire nécessaire et suffisant pour le traiter de voleur, et de gredin pomponné (euh… en français, là). Comme j’élève le ton à la persane, et crie par dessus les monts, il se jette sur moi … et m’embrasse sur les deux joues (je déteste), et pleurniche : nous sommes amis, nous sommes amis (en persan, ça veut aussi bien dire : nous nous aimons, bis). Je déteste encore, d’autant qu’Yvon se roule par terre. Y’a pas d’quoi rire.
La nuit suivante, alors qu’il avait fallu le virer bien shooté de chez nous pour nous coucher, je le surprends, à 2h du matin, en train de nous regarder dormir ! Aaaahhh ! A la porte !
Il se vengera en nous enfermant à clé, la clé du jardin, nous obligeant à franchir la porte avec une échelle, et sauter dans la rue du haut du mur, avec tout notre barda, si bien qu’Yvon brisera ses lunettes. J’aurais voulu voir sa tronche devant la tanière vide.



La veille au soir, nous avions dîné dans une famille aisée, cinq garçons et trois filles, dont l’une est diplômée d’anglais, passionnée d’architecture militaire seldjoukide iranienne, à voir en DVD le soir même, illico, avec reconstitution historique, genre Arte version allemande. Au demeurant, très sympa.
Menu : spaghetti, dough, mâst.

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    J'ai tout lu avec intérêt (pas relevé de fautes) sans oublier de regarder les belles photos. J'aime beaucoup les anecdotes qui ponctuent le récit surtout la dernière avec le coiffeur-mafieux gominé, mort de rire en imaginant la scène...A quand la suite ?
    kaloun

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