Le couteau de Sâdjâd

MARDI 23 JUIN, 9ème jour de trek :

Nous quittons la Zâyandeh au croisement de la route de Chahrekord. Nous saurons plus tard que ce n’est pas le bon croisement, et pourtant le seul village relevé sur notre carte, Gowkân, est bien indiqué par-là.




Un ouvrier agricole et son fils, qui occupent une maison modeste, pour la saison, nous offrent le petit-déjeuner. La théière dorée contient le thé, alors que la noire est remplie d'eau : c'est comme ça.



Quand je regarde la photo, je peine à me rappeler ce qu'il me dicte. Peut-être l'itinéraire, car il a une moto, et il est prêt à nous embarquer tous les deux... En tous cas, je suis bien consciencieux.




Nous quittons cette petite route, pour cheminer de colline en colline, en nous fiant à notre sens de l'orientation, alors que nous n'avons pas encore compris que nous nous sommes trompés. Aux innocents, les main pleines, ce sera un bel itinéraire. Nous suivons un cours d’eau qui permet bain, shampoing et lessive. Puis nous nous installons à l’ombre d’un arbre, proche d’un campement d’ouvriers agricoles et ne sommes pas longtemps seuls. Un gamin m’entraîne chercher de l’eau de source fraîche, que nous boirons sans pastille.



Un groupe de jeunes nous offre l’abri de sa tente, alors qu’un orage s’annonce puis se déchaîne. C’est impressionnant de violence, bourrasques, tonnerre, éclairs, trombes d’eau. Que serions-nous devenus sous notre petite tente ? Ils sont curieux et chaleureux, mais l’un d’eux évoque Ben Laden, Obama et consorts, et sort son couteau, se tranche la gorge d’un doigt, veut voir mes armes, tâte mon opinel.
J'en fait, une tête !
Ensuite, nous sommes « amis », et il insiste pour nous inviter à dîner et dormir à 1 km de là, dans le mauvais sens, chez ses parents qui possèdent une maison et un gros troupeau dont il est fier. Nous acceptons. Il s’appelle Sâdjâd, a quatre frères et cinq sœurs. Avant le dîner qui se fait attendre, les autres jeunes de la tente rappliquent, et veulent nous rapatrier chez eux sous prétexte que nous serions en danger. Les mimiques qu’ils m’adressent plus ou moins discrètement sont ininterprètables. Sâdjâd opine, et ces transactions vaseuses entre eux m’énervent, c’est le soir : je dis aux parents que leur fils nous met à la porte ! Sa mère prend les choses en main et nous offre riz, mâst, concombre et thé. 
 
 
Nous nous couchons dans un coin sur les tapis, au fond de nos sacs, sous le regard attentif des garçons, sans toilette et tout habillés, le couteau à la main. J’exagère pour le fun : le couteau est quand même fermé. Allongés à nos côtés dans l’obscurité, Sâdjâd et son copain, collés l’un à l’autre, continuent à brailler à tue-tête selon l’habitude locale. Ici, les cordes vocales sont hypertrophiées. Nous éprouverons dorénavant un amour exclusif pour notre petite tente, tout en nous émerveillant de cet accueil généreux jamais pris en défaut. Je me promets d’installer un panneau en persan à l’entrée de ma maison sur le GR, pour offrir le thé. Ne faites pas de mauvais esprit : il n’y aura pas que les iraniens pour le lire !

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