D'accueil en accueil

Pour son courage exemplaire, je dédie cette journée à Mahmoud Vahidnia, jeune étudiant lauréat des olympiades de mathématiques, qui est le premier iranien à avoir "critiqué" le Guide suprême en sa présence, tout au long d’une allocution de 20 mn dont la retransmission télévisée a été interrompue le 28 octobre dernier.

Quatre mois auparavant, DIMANCHE 28 juin, 14ème jour de trek :

Nous n’avons même pas entendu la montre à 5h30, il est 6h30. Le soleil cogne déjà quand nous finissons le dernier km d’ascension. Puis, c’est une plaine moins foisonnante qui nous accueille. Au passage d’un hameau misérable, nous trouvons des glaces ! dans une micro-épicerie à l’écart du trajet, et sommes invités pour le thé chez le jeune homme qui nous l’a indiquée, sur les beaux tapis, sous un grand ventilateur au repos et sous les poutres apparentes dorées : les maisons des villages reculés, assurent toujours un confort qui nous surprend quand nous y entrons.



Les glaces et les sorbets sont une institution en Iran et le mot s’apprend dès la 5ème leçon (non ! à la 8ème, j’ai vérifié). C’est toujours un délice quand on a besoin d’un petit coup de fouet.
Notre suspicion d’être « sous contrôle » se confirme : avant même de nous servir, le vendeur de glaces nous félicite de venir de Sâmân, et plus tard, à la sortie d’une cérémonie, j’entends un homme bien habillé expliquer à ses voisins que c’est nous qui allons à Aligoudarz.



Halte dans un petit bois de saules centenaires : les troncs sont énormes. Des saules ? En fait, je n’en mets pas ma main au feu. Voyez les troncs, et rectifiez mon erreur, je vous prie. Arrivés sur la rivière, cette fois elle coule d’est en ouest, et se jette dans un affluent du fleuve Karoun. Elle est opalescente, sur un lit de galets blancs, devant une haute falaise lie-de-vin. Les couleurs sont picturales.



Nous tentons de la traverser à gué, et renonçons devant la puissance du courant. Prendre à droite vers l’amont et le pont puis descendre le cours, ou à gauche vers l’aval où la gorge se resserre ? Nous optons pour un renseignement dans des maisons plus ou moins délabrées au-dessus de la rive : surprise ! Encore une fois, la maison est grande et propre malgré deux bouquetins naturalisés odoriférants dans le salon. Nous nous trompions de direction : Aligoudarz est vers l’amont, nous pouvons enfin nous situer précisément sur la carte au confluent de deux affluents du fleuve. Le Karoun est l’un des trois grands fleuves du delta mésopotamien avec le Tigre et l’Euphrate. Je rappelle que l’Euphrate est à l’ouest, et le Karoun iranien est bien sûr à l’est, long de 850 kms, navigable, il reçoit la rivière Dez, et traverse Ahvâz.



Dans la maison aux bouquetins de Kakelestân nous sommes servis comme des rois : tchâi, dough, noun, mâst, karé, sarchir, omlett. Oui, oui, je traduis : thé, petit lait aromatisé, pain, yaourt, beurre, crème, omelette. Ensuite cerises (guilâss) équeutées, juste cueillies pour nous, petites, rouge vif, un peu acides. Sur les marchés, elles porteront un autre nom, âlbâlou, parce que ce sont des griottes. C’est invraisemblable pour nous, cette façon d’accueillir les inconnus en se mettant en quatre pour préparer un repas, alors que l’heure est passée... Bien sûr, ce sont les femmes qui font tout, puis s’éclipsent  ou restent invisibles. Cette fois, nous découvrons le sarchir, à base de lait de brebis, qui ressemble aux « peaux » du lait, un peu jaunes après cuisson. Nous partons repus, tentés de faire une sieste, et atteignons le confluent qui nous situe sur la carte. Halte le long de la rivière laiteuse et vive, dont nous remontons le cours. Bien sûr, trois motards débarquent et je dois « m’exprimer ». Bon, ça va, il n’est pas tard, j’ai encore assez d’énergie. Ensuite nous prenons un sentier sur la berge qui nous contraint à une escalade périlleuse. Dans les herbes sèches, je croise un énorme serpent cuivré qui me fuit.



Nous retrouvons « l’asphalte » puis l’abandonnons vite pour une piste qui longe la rivière rive gauche, et nous montons la tente dans un petit carré entre épineux, bien cachée, près d’une plage de gros galets,  après avoir pris un bain, et fait la lessive.



Je réalise que, peu à peu, nous sommes enclins à nous dissimuler pour passer la nuit tranquilles. Rappelez-vous que nous campions SUR le sentier des pêcheurs, près de Iâsetchah, que nous allions chercher les apiculteurs pour les prévenir de notre présence, que nous venons de dormir juste sous le nez des villageois avant-hier soir. Mais souvent aussi nous nous sommes cachés, persuadés d’être en infraction sous le barrage, cachés plus loin pour échapper aux  "voleurs délicats",  et maintenant cachés pour être simplement seuls dans le silence… Trop bien cachés, mal nous en prend, nous perçons le sol de la tente et mon petit matelas soi-disant autogonflant (tu parles !) sur les épines, et je n’ai pas vocation de fakir après tentative douloureuse, je dois sortir nettoyer la terre sous ma place.

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