Réveil à 6h30. Nous petit-déjeunons chez un couple de bakhtiâris et leur plus jeune fils : thé, pain, fromage. Ils ont cinq enfants entre 17 et 4 ans.
Il a 43 ans, nous lui en donnions 52. Il est très digne, et je prends prétexte de ses cheveux blancs pour le vieillir ainsi.
Sur le cours bouillonnant de la Zayandé, le pont à piliers ronds et arcades d’Owregoun est majestueux. Un sale type, en keffieh (?) sur sa moto, nous aborde montrant sa carte illisible « la police vous suit à la trace, évitez Owregoun, vous seriez menottés ». Même pas peur ! On y va, on verra, on amadouera. Et nous rencontrons notre policier secret d’avant-hier, cette fois en uniforme : grand sourire (pernicieux ?).
Ensuite, deux civils nous invitent à monter dans leur pick-up banalisé, nous déclinons l'invitation : "na, piâdé, piâdé".
Devant notre refus réitéré, nous sommes embarqués manu militari, les sacs balancés sur le plateau. A l'arrivée devant leur caserne, je ne réussis pas à lire le panneau calligraphié en nasta'liq (écriture "en suspend", trop cursive et trop penchée pour moi), mais il a le grand mérite de paraître officiel et, donc, peu ou prou, rassurant. Donc, ce ne sont pas des truands, ouf !
Est-ce la police ? « Non ». L’armée ? Ils disent non, puis oui. J’en
déduis que ce sont les Gardiens de la Révolution, les Pasdarans.
Après nous avoir servi le thé, nous n’en demandions pas tant, nous jouons au jeu des passeports et visas qu’il faut décortiquer, c’est à dire prononcer nos noms, ce qui est ardu : nous avons tous les deux un « u » inexistant ici. Et « quels trajets, quelles nuits ? » L’un d’eux, en souriant, nous fait des signes discrets d’encouragement. Pourquoi ? Y aurait-il une menace dans l’air ? Le thé et les amabilités ont-ils un rôle psychologique avant un changement d’ambiance ?
Mes propos en persan me valent quelques crises d’hilarité de tous, même du chef avec sa barbe taillée au cordeau. J’assume et me réjouis.
Nos hôtes poursuivent leurs tâches : photocopies et fax des visas vers Téhéran, puis à nouveau thé, tous ensemble, avec jus d’orange de ma marque préférée et gâteau à la fleur d’oranger. Pas de bière au citron pour Yvon, il ne la réclame pas et rédige insouciamment ses mémoires, pendant que je m’escrime anxieusement à converser avec toute la diplomatie possible ! Il est trop décontracté, je lui assure qu'il y a une cave et que
l'ambiance peut basculer...
J'apprends, en effet, incidemment et sans grand plaisir, qu’il y a des
manifestations d’hostilité envers l’Iran à Paris : qu’en pensez-vous ?
euh.. Brest est très très loin de Paris… euh… nous vivons presque sur
une île isolée. Faut dire que je case les mots que je connais, ça limite
et c’est mieux.
Quand le chef insinue que "Monsieur le Président Sarkozy" n'aime pas beaucoup "Monsieur le président Ahmadinejâd", et réciproquement, je rétorque que "non, non, moi-même je n'aime pas beaucoup le premier...
Et Obama ? Mieux que Bush ? Oui ! Bush très vilain, je
dis « bad » (comme en anglais, vous voyez, c’est facile, persan langue
indo-européenne), et je continue : fini Bush, j’espère que le président
Ahmadinejâd et le président Obama vont enfin pouvoir se parler (je sais
dire).
Il est 11h15, vous attendrez jusqu’à midi. Ah ! bon… Ils me donnent trente ans, hier c’était 62.
A midi pile, pfuitt, envolez-vous !
Bon, on s’en sort, mais l’un d’eux nous précède à la poste, et là, plus d’internet tout d’un coup !
Tant pis, faisons nos courses : le pain nous est offert et nous trouvons des biscuits, du thon en boîte, du fromage, des cerises en boîte. L’avantage des boîtes, sachez-le, c’est qu’elles n’arrivent pas écrasées aux étapes et qu’elles se conservent quand nous n’en avons pas l’usage si nous sommes invités.
Tant pis, faisons nos courses : le pain nous est offert et nous trouvons des biscuits, du thon en boîte, du fromage, des cerises en boîte. L’avantage des boîtes, sachez-le, c’est qu’elles n’arrivent pas écrasées aux étapes et qu’elles se conservent quand nous n’en avons pas l’usage si nous sommes invités.
Nous longeons la rivière jusqu’à la première ombre où nous poser, malgré le bruit du tracteur qui pompe. Pompage (on entend un « m » sonore) est un mot persan, et se pratique bruyamment pour l’agriculture, tout au long des rivières. Pain, fromage, fruits confits, reste de thé, nous écrivons en attendant que le soleil baisse, car les rives sont nues.
Marche, puis nouvelle pause au bout d’une heure, car les sacs sont infernaux : la nuque se bloque, les épaules se rétractent, je soulage, mains dans le dos, le poids par dessous, ou au contraire les bras en l’air et les mains sur la tête. Nous avons adopté la technique de nous tendre le sac l’un à l’autre pour le réendosser. Il faut encore le déposer avec prudence et symétrie, si l’on ne veut pas avoir l’impression de se déchirer le cou.
Bref, cette halte est bienvenue, sur une grève de cailloux polis et veinés blanc sur noir. La rivière s’est éclaircie, après l’orage qui l’avait chargée de boue : elle est argent terni, toujours vive, clapotant, encore large.
Dans un village où il y a panne de courant et donc pas de glace, l’épicier nous mène chez lui et nous offre thé et dough sur sa terrasse. Son père et ses amis entonnent la litanie des désamours avec la France, l’Angleterre, l’Allemagne : je calme le jeu. La voix du père est plutôt vindicative, mais ce doit être son naturel, car il nous offre le gîte que nous refusons poliment.
Marche, puis nouvelle pause au bout d’une heure, car les sacs sont infernaux : la nuque se bloque, les épaules se rétractent, je soulage, mains dans le dos, le poids par dessous, ou au contraire les bras en l’air et les mains sur la tête. Nous avons adopté la technique de nous tendre le sac l’un à l’autre pour le réendosser. Il faut encore le déposer avec prudence et symétrie, si l’on ne veut pas avoir l’impression de se déchirer le cou.
Bref, cette halte est bienvenue, sur une grève de cailloux polis et veinés blanc sur noir. La rivière s’est éclaircie, après l’orage qui l’avait chargée de boue : elle est argent terni, toujours vive, clapotant, encore large.
Dans un village où il y a panne de courant et donc pas de glace, l’épicier nous mène chez lui et nous offre thé et dough sur sa terrasse. Son père et ses amis entonnent la litanie des désamours avec la France, l’Angleterre, l’Allemagne : je calme le jeu. La voix du père est plutôt vindicative, mais ce doit être son naturel, car il nous offre le gîte que nous refusons poliment.
Et nous nous installons pour la nuit dans un petit bois de jeunes peupliers, à cinq mètres de la rivière, face au pic ensoleillé du Kouh-e sans nom. Auparavant un conducteur sot a frôlé Yvon, à toute allure pour nous effrayer, sur le court tronçon routier que nous empruntions à l'entrée du village. Dîner d’amandes, pain et fromage, thon en boîte, cerises en boîte, plus une barre de céréales pour moi qui défaille. Je m’aperçois que je mange deux fois plus qu’Yvon. Mais, même deux fois, c’est encore peu. Yvon est un ascète. Je suis vanné le soir, prêt à me coucher avant 8h.
C'est bon, j'ai réussi à rattraper mon retard et à tout lire. Au fur et à mesure ca ira mieux maintenant.
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