Mon couplet politique

JEUDI 25 juin, 11ème jour de trek :

Réveil à 6h par 6° Celsius, après avoir frissonné dans mon duvet, malgré le drap de soie, car tout est humide. J'ai les doigts gourds pour rouler la tente. Nous continuons par la piste carrossable jusqu’à un premier col, puis entamons une franche ascension de 250 mètres de dénivelé en lacets.
 



A mi-hauteur, un berger bakhtiâri nous convie dans sa tente à un petit déjeuner où nous nous jetons sur le plus délicieux beurre qui soit, ferme et onctueux, blanc crème, et goûté avec une pointe de sel, mais sans sel ajouté. Il est le régal des bretons que nous sommes, et je pense à toi, Marie-Hélène.




La mère de notre hôte va balancer l’outre à dough, en chantant une mélopée qui lui fait verser toutes les larmes de son corps. Sa petite-fille est malade, soignée à Esfahân, et je devine une leucémie sous chimio.



Nous reprenons l’ascension en lacets jusqu’à 2721 m, pour franchir le col et entrer dans la haute montagne. Les rares voitures et camions s’arrêtent gentiment pour nous embarquer, mais nous ne voulons rien savoir. On nous offre alors des tomates. Yvon n'aime pas les tomates.
Au creux de la vallée suivante, nous avons perdu 480 mètres d'altitude. Un pont sur un torrent sert de halte à deux 4x4, que, vus de loin, nous aurions bien évités car les passagers portent un badge voyant. Mais non, il s’agit d’une équipe médicale complète qui parcourt les villages, et nous interroge avec enthousiasme. Du coup, je redeviens ophtalmo. Eux aussi veulent avant tout savoir si nous aimons l’Iran. C’est vraiment une préoccupation générale, et une soif d’estime et de compréhension. L’Iran est toujours une « île», mais son arrogance millénaire s’est muée en solitude, et cet isolement est très mal vécu par la population. Mis au ban de la communauté internationale, victime d’un embargo et d’une agression irakienne soutenue sans conditions par l’Occident, confronté à la surdité du Conseil de Sécurité lors de ses requêtes contre l’emploi des gaz de combat, la population a forcément renforcé sa cohésion sociale pendant la guerre et fait bloc autour de son gouvernement, convaincue à juste titre de la nécessité d’une indépendance énergétique, dont le refus équivaut à un asservissement.
Et pourtant tous les Iraniens, que nous rencontrons, aspirent à tisser des liens généreux avec nos pays qu’ils admirent.
Fin du petit couplet politique.
Le torrent est glacial (12-13°), mais nous offre généreusement son eau pour bain, shampoing, et lessive. Nous sommes ravigotés, ragaillardis, propres comme des sous neufs. Au déjeuner, les tomates pour moi, du pain, des biscuits pour Yvon : frugalité et bonne santé.



Nous reprenons notre chemin : la piste aura franchi trois cols dans la journée, perdant négligemment les ascensions de 300 à 500 mètres, que nous effectuons en ahanant. Par chance le temps est notre allié : frais le matin, encore doux à midi, et pluvieux l’après-midi. Cette pluie nous mouille et sèche au fur et à mesure. Une vraie pluie bretonne, une fraîcheur de bain bretonne, du beurre salé breton : que demander de plus ? Euh… pour la pluie, à vrai dire, ce n’est pas le crachin emblématique ou alors multiplié par 100.
Ici, les sauterelles ont une case de vide et pullulent : j’en vois des milliers, et pas une n’aura réussi son saut sans se casser la gueule sous mes pas, en perdant son cap. Si bien qu’il faut danser sur la piste, avec le sac sur le dos, pour les éviter.




A l’arrivée au col suivant, nous venons de franchir un dénivelé de 581 mètres d'une traite, je suis un automate en hypoglycémie. Une tomate, du pain, des pruneaux y remédient. Les paysages sont grandioses, les pitons à pic, les perspectives encadrées, l’éclairage du soir contrasté.
La piste décrit des courbes spiralées, la prochaine vallée est dessinée par Walt Disney.



Nous campons dans un boqueteau de saules où foisonnent graminées, ombellifères, luzerne, asphodèles.
Nous avons parcouru 24,5 km. Nous sommes vannés, c’est peu de le dire. Dodo illico.
Ah ! Au fait, la photo en haut de la page, c'est ici même, dans la vallée enchantée.

1 commentaire:

  1. Dommage qu'il n'y ait pas de petit film de tes pas de danse pour éviter les sauterelles... Ca devait être drôle !

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