Les abeilles et l'ours

VENDREDI 26 juin, 12ème jour de trek :

Il fait moins froid qu’hier. Nous levons le camp à 7h. Nous arrivons vite à Kamerân, village de 500 âmes assez miséreux, où sèchent partout des bouses en pyramides par deux.


Nous trouvons le maqâzé (magasin) et achetons du thon, du fromage, des biscuits. Pas de fruits frais, ni en jus, ni en boîte. Déception : pas de réseau, pas de poste, pas d’internet. Un jeune gars au teint clair et yeux verts  nous parle d’un danger… Encore ? Lorsqu’il m’offre un bâton, je comprends qu’il s’agit des chiens. Pourtant je connais le mot, qui est simple et facile à prononcer : sag.

 
Je prends son bâton, alors que nous avons maintenant grande confiance dans les ultrasons émis par Yvon, au point de ne plus ramasser de pierres. La photo est là parce que je ris à me voir  tel un explorateur du XIXème siècle, j'aurais dû la colorer en sépia... Voilà :


A ma ceinture, une flasque à whisky évidemment. Quoi ??? .. à whisky ? en Iran ? Non, non, non, c'est mon précieux passeport. Nous sommes en 2009, et l'administration est reine.



Le col suivant culmine à 2904 mètres, avec un dénivelé de 384 mètres, et nous coupe le souffle en cisaillant les épaules. Puis nous longeons un petit glacier.


Un peu plus bas, nous rencontrons un superbe cavalier bakhtiâri, en pantalon traditionnel ample et plissé, de couleur bleu roi, resserré en guêtres, sur chemise blanche et gilet occidental. La jument nous craint et son poulain s’inquiète.
Pendant la pause, sous un saule, près d’un torrent, un berger bakhtiâri, vêtu de sa toque noire en feutre, et de son manteau de laine strié en touches de piano, vient nous parler. A l’aube, son collègue portait la grande cape noire capuchonnée, si raide et lourde qu’elle tombe en cloche. 
 
 

Avec une idée en tête, nous saluons de loin des apiculteurs. L’hospitalité est telle que maintenant, nous comptons sur elle… Et, en cet instant, c’est du thé qu’il nous faut pour affronter notre route. Les ruches sont légion ici. 
 
 
Pour rejoindre la tente des apiculteurs, au delà des ruches, dans les bourdonnements, nous revêtons le chapeau à voilette et nous nous inquiétons pour nos mains et avant-bras. Mais les abeilles sont pacifiques. 
 
D'autres ruches
 
 La tente est un four, car l’âb-goucht (« jus de viande) y bout à petit feu. Nous, c’est simple, nous fondons sur place. Les apiculteurs ne dorment pas sous cette tente, et leurs lits sont à l’extérieur de façon à surveiller les ruches toute la nuit : un gourmand rôde ! A force de mimique nous comprenons que c’est l’ours, khers en persan. Un animal de plus qu’il nous faut craindre ! Et nous avons du dentifrice au fluor pour l’attirer.


Dans le village suivant, Pachandégân, nous demandons à recharger la batterie du « mobaïle » d’Yvon, (je n’en ai pas) et sommes invités à déjeuner : thé, omelette aux frites, mâst, dough, concombre. Ce repas complet nous requinque. Nous sommes sept hommes qui mangeons pendant que deux fillettes nous dévisagent en riant. Nous ne verrons pas les femmes de cette famille citadine venue de Téhéran en villégiature…


La piste continue de vallée en vallée, et aujourd’hui nous franchissons deux cols.


En fin d’après-midi, nous faisons des courses dans le hameau de Mâssir, où le pantalon d’Yvon est officiellement déclaré inapte au service. A la sortie du village, nous passons devant une caserne inattendue, et, à voir la tête des troufions, nous sommes nous-mêmes totalement inattendus pour une fois. Dix mètres plus loin, leur stupeur fait place à la discipline : nous sommes apostrophés et invités dans la caserne. Peut-on dire « invités » dans ce cas ?  Le gradé du lot nous mène dans son bureau pour identification et interrogatoire : « Qu’avez-vous photographié ? »  Alors là, euh …(ça m’ennuie un peu, je tripote mon appareil, je connecte tous mes neurones) euh…  des montagnes, des rivières, des fleurs, des gousfands (j’ai retenu leur nom), pas de khers, des gens gentils souriants accueillants, voilà c’est tout… Il s’en contente, et nous signons, sans lire, une page d’aveux que j’espère inoffensifs. Devant mon hésitation (quand même), il prétend que ce sont nos propres mots. Non, non, pas de lecture, dis-je, c’est ok… Merci pour ce 6ème contrôle en caserne.
Le soir un paysan nous conduit sur une terrasse naturelle encadrée de noyers ; Nous montons la tente et dînons sous le regard attentif de quatre hommes dont l’un porte un fusil très lourd. Je l'ai manié. Leur attention est toute proche, c’est peu de le dire, et c’est même « envahissant » pour nous, cette façon de se coller à autrui.  Flapis, nous expédions le dîner sous leur nez, et cette promiscuité est pernicieuse : nous ne buvons pas, car ils ont apporté l’eau et nous ignorons sa provenance, puis nous nous lavons   les dents à leur côté… Après cette étude de mœurs, ils nous abandonnent enfin quand nous tirons la fermeture de la tente sur un chab-e kheir définitif, bonne nuit ! Deux cols et trente km, avec 14 kg sur le dos, nous semblent une bonne excuse... Non ?

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