La diplomatie à Téhéran

DIMANCHE 26 juillet, Tehrân, 52ème jour :

A la sortie du car, il fait jour, et il nous faut un taxi.
Comme à Esfahân, une compagnie vous affecte d’office tel ou tel véhicule. Je refuse d’embarquer pour le prix exigé, et nous transigeons pour un taxi «ouvert». Aucune importance, nous sommes seulement quatre à monter. Le prix est encore bien plus cher qu’en province. Nous avons rendez-vous à 8h devant l’ambassade de France avec l'interprète recruté par l'agence de Chirâz pour les tractations administratives ultérieures. Il y a déjà la queue sur trente mètres devant la porte fermée. L’ambassade est murée sur sa sécurité et ses caméras, blindée derrière ses grilles.



La queue est exclusivement iranienne, et je me rappelle qu’il y a une porte pour les «nationaux», beaucoup moins courue. J’y sonne et mon accent français est un sésame, je suis dans le sas et j’explique mon cas. Je ressors quand même pour attendre Alipour, l'interprète, qui ne tarde pas à arriver. Nous sommes reçus ensuite par Madame Mariella qui commence par lever les yeux au ciel en se demandant ce que nous pouvons bien faire en Iran actuellement. Est-ce le moment vraiment ? Elle s’amadoue vite, et promet le laissez-passer pour la fin de matinée. C’était inespéré, et nous nous en réjouissons.
L’un de ses collègue, briochin !, confirme que cette agression est une première, et que la sécurité est bien la qualité majeure du pays. On s'y promène dans tous les quartiers des villes à toute heure sans appréhension. Des vols de passeports par de faux policiers se sont produits il y a quelques années toujours en douceur et élégance, jamais avec cette violence. Les difficultés y sont plutôt d'ordre administratif, ceci dit par euphémisme. Nous apprendrons que la situation économique est dramatique car les caisses de l’Etat sont mises en coupes réglées sous couvert de religion, et qu'en effet l’arbitraire règne en maître : le moindre prétexte, tel cette perte de passeport, quelles qu'en soient ses modalités, est bon pour exercer une pression.
Nous payons le laissez-passer, non, non, ce n’est pas gratuit non plus, et nous prenons la mesure des impératifs diplomatiques à la lecture de la lettre du consul aux autorités iraniennes : les formules de politesse chaleureuses passent à la rigueur, mais nous lisons avec stupéfaction que Sylvie a ÉGARÉ son passeport… Ce mensonge est d'autant plus surprenant que les iraniens ont enregistré la déclaration de vol sans sourciller, que tous connaissent et admettent la même version : j'en déduis qu'il s'agit de salamalecs qui ne trompent personne, ravissent tout le monde, font partie d'un jeu d'autant plus amusant qu'il est gratuit et irréel.



Munis de cette paperasse, nous devons d’abord passer au Bureau des Affaires Etrangères iranien, où il faut 2 heures pour obtenir un coup de tampon sur le laissez-passer. Alipour s’est chargé de courir de pièce en pièce pendant que nous nous distrayons comme nous pouvons devant le portique où les sacs sont ou ne sont pas passés aux rayons détecteurs. Ensuite Alipour nous entraîne dans une course effrénée, à pied et en taxi, vers le Bureau des Forces Disciplinaires. L’heure tourne, et il va fermer à 13h30. Sylvie s’engouffre, je ne suis pas admis, et je ne tarde pas à la voir revenir en larmes. Elle s’est heurtée à un butor intransigeant : « et il est 13h30 ! et ses photos ne sont pas voilées ! et nous n’avons pas de reçu bancaire !  et il faut revenir demain ! »



Alipour se charge, un peu tard, d’obtenir le reçu du virement exigé, et nous conduit chez un photographe d’où Sylvie sort avec des portraits toujours aussi juvéniles mais tête couverte. Allées et retours en cars, taxis à répétition, émoluments d’agence, laissez-passer diplomatique, virement fiscal, photos comme ci comme ça, et hôtel imprévu entament méchamment nos finances. L’hôtel Khayam est calme et accueillant mais situé dans un quartier grouillant de mécaniciens, de marchands de pneus et d’électroménager. Après un petit en-cas que le réceptionniste est allé gentiment nous chercher à l’extérieur, nous faisons une sieste compensatrice. Les touristes japonaises ont déglingué l’ordinateur moribond, et je fais deux kms pour trouver une connexion et avertir Marie-Hélène et Yvon que nous restons à Téhéran. Je passe devant l’ambassade d’Allemagne, elle aussi tapie derrière ses grilles. Partout la circulation frénétique est polluante, les avenues plus pénibles que jamais à traverser, les trottoirs envahis. Je remarque de nombreux étals pour numismates, et, bien visibles toujours, les billets de banque à l’effigie du dernier Chah. Nous dînons dans un restaurant de quartier après avoir fui un troquet où des touristes européennes sans vergogne fument et enfument leurs voisins.

PS : désolé pour la symbolique un peu facile et pessimiste de l'iconographie...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire