Le mauvais jour


DIMANCHE 19 juillet, Chirâz, 45ème jour :

La journée avait bien commencé : visas prolongés avec le sourire, reçus bancaires délivrés promptement, déjeuner dans une petite gargote, figues fraîches dégustées en déambulant. Nous n’avions plus qu’à traverser la rue avec nos précieux papiers pour rentrer à l’hôtel…
Hélas, au carrefour, Sylvie est victime d’un vol à l’arraché, par un motard qui la renverse et la traîne sur l’asphalte. Avec le sac, s’envolent passeport, euros, lunettes. Oui, c'est le sac acheté avant-hier, très solide.
Elle est complètement sonnée, contusionnée, commotionnée quand nous la portons chez le marchand de fringues du coin. Tout le monde s’attroupe, s’apitoie, se lamente. On lui offre un jus de fruit en vain, et on l’allonge sur le carreau dans une cabine exiguë, d’où le médecin appelé aux Urgences peine à l’extraire. Il propose des radios, puis se contente de savoir que je suis ophtalmo. Nous admirons la célérité d'intervention.
Arrivent un policier et un soldat armé, qui repartent illico à la poursuite du voleur. Il est déjà loin le voleur, et nous, on compte pour du beurre !
Sylvie traverse l’avenue dans un brouillard opaque, et nous l’allongeons dans le hall de l’hôtel où recommencent attroupement, apitoiement, lamentations. Arrivent les policiers pour une déposition : il va falloir aller dans un commissariat. Nous y allons tous les trois en taxi, sans Sylvie qui est au lit après une douche, couverte de bleus sur le côté droit.
Dans le bureau du commissariat, nous voilà côte à côte avec un pauvre hère, maigre à faire peur, (et c’est moi qui le dis), qui a le regard fiévreux et tousse à fendre l’âme, en se raclant la gorge jusqu’au bronches pour faire bonne mesure. Il aurait subtilisé deux montres, et c’est certainement une de trop. Nos affaires s’entremêlant, il intervient avec passion dans mes explications matrimoniales, mais ses postillons lui valent une exclusion dans le couloir. J’ai en effet bien du mal à faire comprendre que je suis le mari de la victime, car nous l’avons désignée sous son nom d’épouse, mon nom à moi, et ce n’est pas habituel. Ils la prennent sans doute pour ma sœur et il leur faut absolument le nom de mon père ! En désespoir de cause, j’inscris celui du père de Sylvie d’office.
Arrive alors Mehdi, délégué par l’Agence PTA qui hérite de la responsabilité de ses clients, et va nous servir d’interprète. L’agence s’avère donc utile. Nous comprenons que Sylvie va devoir déposer sa plainte elle-même à l’autre bout de la ville dans une banlieue éloignée du sud. Elle n’est pas du tout ravie de cette excursion, inconfortable avec ses bleus, dans des embouteillages monstrueux. Le périple est long, laborieux, et débouche à la nuit tombée sur … une prison obscure !

La sinistre prison Adel Abad

Et c’est une prison bien cadenassée, dont nous faisons le tour dans un sens puis dans l’autre, butant sur des judas clos et muets, avant de trouver un portillon accessible. A l’intérieur, nous sommes reçus dans un bureau vert et blafard par un général : nous apprendrons son grade à la sortie. Il nous  présente ses excuses, et se désole de l’image que nous allons rapporter d’Iran après cette agression, sans s’interroger sur la façon dont nous apprécions les gémissements entrecoupés venus de la pièce voisine grande ouverte, ni l’exhibition d’un prisonnier menotté dans le dos qui traîne ses chaînes un bandeau sale sur les yeux. De quoi plomber l’ambiance pour nous. Enfin... un peu plus !
Vous imaginez notre joie quand nous apprenons qu’il faut passer devant un juge avant toute chose. En fait, nous commençons par une dissertation en double exemplaire, anglais puis persan, sur le thème rebattu du contenu du sac de la ménagère française lambda en goguette dans la bonne ville provinciale de Chirâz pour la première fois. Rassurez-vous, je n’étais pas d’humeur à en faire trop. Sobriété, concision, précision. Ensuite, il nous faut promettre par écrit d’être toujours et en tous lieux joignables et disponibles, jusque dans notre petit hameau de Kerfissiec, et je donne mon adresse de messagerie, je ne suis plus à cela près. En vacances à l’étranger, n’est-il pas de bon ton de promettre un échange de lettres ?
Nous rentrons à l’hôtel. Ouf ! Ce n’est pas cette nuit que nous dormirons en prison. Je dîne avec Marie-Hélène et Yvon. Où est Sylvie ? Dans son lit !
Ah ! Je n’ai pas fait de photo en prison !

PS : je précise dès maintenant, et j'y reviendrai, que ce type d'agression envers les étrangers est rarissime en Iran. Ni vous, ni nous n'en avons fini avec cette histoire. Imaginez : Sylvie n'a plus un seul papier d'identité. Une autre aventure commence !

Au coeur de la République Islamique,
les Forces militaires et de Sécurité,
qui vont désormais s'occuper de nous,
sont sous l'autorité du Guide Suprême,
l'ayatollah Ali Khâménei.



علی خامنه ای





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