Menaces disciplinaires

LUNDI 27 juillet, de Téhéran à Abyâneh, 53ème jour :

Alipour n’est pas libre, et notre nouvel interprète arrive en retard. Sylvie, sous tension maximale, et impatiente d’expédier les dernières formalités, le rabroue, alors qu’il va s’avérer charmant. Nous avons bien compris avec Mehdi puis Alipour que ce rôle d’intermédiaire n’est pas une partie de plaisir. Nos interprètes nous semblent toujours anxieux, et marchent sur des œufs ou des charbons ardents. Nous réalisons que c’est la confrontation avec l’administration de la République qui les perturbe ainsi, car rien n’est jamais joué et les mauvaises surprises vous guettent à tout instant. Parfois très mauvaises. Est-ce mon imagination ?
Sylvie entre donc ainsi accompagnée dans l’immeuble des Forces Disciplinaires à 8h15.
Je suis indésirable, même dans le hall d’où je suis expulsé, et m’installe sur un banc dans la rue. Là, je patiente, et me résigne. Je me fonds dans le paysage au point que je suis interrogé par trois fois en persan pour un renseignement. Je vous ai fait partager cette attente dans le mail n°24, intitulé « L’esprit vagabond » dont vous avez suivi les méandres. Trois heures comme ça, à patienter devant ce panneau que je n’ai pas eu l’audace de photographier et qui me nargue. Je le lis, je le relis, je m'en imbibe :
« BUREAU des FORCES DISCIPLINAIRES envers les ÉTRANGERS » (sic).
Franchement, il faut le faire ! Savoir ainsi créer l’ambiance adéquate dès l’entrée, c’est tout un art ! Allez vous étonner que l'on n'y entre pas en chantonnant. Sylvie s'y aventure donc bien voilée, sans fioritures et avare de couleurs : l'auto-discipline est là, avant même de passer la porte.
Auto-censure et auto-discipline, c'est une façon de responsabiliser le citoyen.
Longtemps après elle apparaît enfin, ébranlée mais exaucée ! Elle est passée d’étage en étage et de bureaux en bureaux, et encore, et encore, pour finir sous les humeurs délétères du butor d’hier, qui était toujours constipé. Avant que le vent tourne, nous partons en vitesse vers le terminal des bus pour Kâchân, dans un taxi vert, ceux affectés aux hôtels, les plus ruineux, vite fait, bien fait.



En car, nous passons devant Qom, ville religieuse entre toutes, et déposons quelques pèlerins.



Puis à Kâchân encore un taxi pour Abyâneh, les minibus promis n’existent pas. Nous longeons les abords du site nucléaire de Natanz, enfoui en profondeur, dont nous ne voyons que les défenses antiaériennes. Puis, après avoir remonté la vallée, nous retrouvons Marie-Hélène et Yvon à 16h fiers de nos prouesses de célérité administrative. Abyâneh est un tout petit village sur les contreforts du  Kouh-é karkas, la montagne des vautours, classé au Patrimoine mondial, et fréquenté par les citadins en quête de fraîcheur.



D’emblée Abyâneh nous séduit par son calme, sa vallée de verdure qui évoque notre rivière, et la cour de sa petite mosquée ouverte sur la montagne, dominant les noyers.



Entouré de hautes colonnes de bois, le bassin turquoise est cerné de rigoles impétueuses, et couvert de deux ancestrales treilles de vigne dont les gros troncs ont cinq mètres de haut.



Comme partout, la "fontaine" d'eau fraîche est disponible. Ici, elle est bien briquée, vous y voyez le ciel, la treille, la vigne et son cep s'y refléter sous les coupelles gravées qui servent à boire. Trois coupelles, trois robinets.



Marie-Hélène et Yvon ont déjà leurs habitudes et nous guident dans les ruelles où les maisons de pisé ont la couleur rouge de la terre, et s’ornent de claustras géométriques sur portes, fenêtres et balcons, tous en bois travaillé.






Nous nous réjouissons de rencontrer enfin les tchâdors colorés, et même bariolés, typiques de ce village : les assortiments de motifs et de couleurs sont très fantaisistes à nos yeux, mais quelle gaieté !



Les femmes y semblent beaucoup moins distantes que celles qui n’osaient nous regarder le long de la Zayândeh. Nous prenons une glace sur une terrasse où elles viennent papoter en riant.



Sylvie rêvait de ce village depuis longtemps. Il lui offre une escale et un havre de sérénité. Je garde mes appréhensions pour moi, et j'en fais un suspens pour vous...

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