SAMIRA, d'ESFAHÂN : mail n°16, 13 juillet
Marie-Hélène et Sylvie ont bouclé leurs valises. Sont-elle déjà dans la voiture pour Morlaix ?
Nous allons trembler jusqu’à demain soir, car les visas touristiques subissent des restrictions depuis ce matin...
Ce serait vraiment désespérant d’échouer si près du but.
Alors pour détendre l’atmosphère, et l’atmosphère aura subi bien des dépressions depuis trois mois avec ce voyage, je vais vous évoquer Samira.
La mère de Samira sortait de chez elle, au moment précis où nous cherchions un renseignement sur la demeure du Prieur de l’Eglise Arménienne d’Esfahân.
Soit dit en passant, je ne saurais laquelle choisir entre la demeure du prieur, et celle de l’archevêque d’Oslo en baie de Propriano. Il y a ainsi des contingences spirituelles qui me paraissent soudain très prosaïques.
Mais la mère de Samira, élégante et racée, n’avait pas de temps pour deux malotrus comme nous, qui abordent les femmes dans les venelles tranquilles. Nous, pourtant, dans les villes, on n’y voyait pas malice.
Elle hèle son mari, qui tarde à s’éveiller et l’impatiente, et nous plante là.
Le père de Samira est plutôt bizarre, d’esprit comme de corps. D'une certaine façon, il me fait penser à Michael Jackson. Que Dieu ait son âme ! (oui, ici aussi nous savons). Mais avec naturel, car contrairement aux iraniens mâles et femelles, il ne se promène pas avec un pansement sur le nez, pour faire croire qu’il a des soucis esthétiques.
Par contre, bien sûr, il conduit sa petite voiture déglinguée comme une Ferrari à chaque démarrage.
Vous y croyez ?
Sa religion (sic), c’est Omar Khayyâm et non Hafez : sans rire, c'est plus qu'une originalité ici, c'est un défi !
Et il veut nous traîner à droite et à gauche sous prétexte que nous cherchons le Prieur.
Bref, il nous offre pastèque et thé, mais laisse le thé refroidir. Je lui précise quand même que j’aime le thé brûlant. Je n’ai plus beaucoup de scrupules en dehors de l’Autre Sujet.
Le père de Samira nous présente sa fille qui court mettre un pantalon plus long. Qui revient en cheveux, à notre grand étonnement. Je crois que « en cheveux » est une expression de ma grand-mère. Et qui se pique de m’apprendre tout de go tout un tas de vocabulaire indispensable.
Pourtant je précise bien, photos à l’appui voyez ci-dessous, que je suis grand-père et que j’ai 57 ans. Mais quand même, je fais le joli cœur pendant qu’Yvon parle anglais avec le père. Et il a bien du mérite Yvon, car l’accent est incompréhensible : with devient "vite", et brother devient "boroder"... Les persanophones apprécieront.
Devant la porte de la madressé fermée, je tente même de monter au poteau électrique. Avec mon nouveau poids ce n’est pas difficile. Il faut dire que Samira veut nous emmener visiter son école de peinture, et que je lui ai promis d’exposer avec moi sur les quais de Seine.
Oui, oui, c'est Samira !
Et sans plus de scrupules que pour le thé, je demande si elle préfère la guimpe au foulard, en la voyant ainsi coiffée pour sortir.
Non, non, ce n'est pas Samira !
Ce portrait n'est pas du tout caractéristique :
le nez n'a rien d'iranien.
le nez n'a rien d'iranien.
Il s'agit d'une actrice.
J'ai un portrait typique sous la main,
mais j'hésite à le divulguer, même anonyme...
J’appelle guimpe une sorte de capuchon souvent noir, fermé de toutes parts, avec une encolure large et basse : on y passe la tête comme dans un pullover. Moi, je préfère les foulards, mais elle me dit qu’elle est un peu malade, et a peur de prendre froid par cette température (40 degrés à l’ombre).
Je la crois à moitié.
Alors quand elle se met au volant, avec un père fou des crissements de pneus, et qu’elle avoue n’avoir pas La Carte, mais tant pis, ce dont nous nous doutions, je pète un plomb.
Ah ! je n’ai pas dit qu’elle a seize ans ! (pour ne pas aggraver mon cas).
Là, je sors tout mon vocabulaire spontanément, et je conjugue «j’ai peur» en persan.
Rien, n’y fait elle démarre. Et je suis ici pour le raconter.
Il paraît que la révolution est passée par là. Donc, c’est comme ça.
Bon d’accord, «bâché», je dis au fond de la voiture.
Bye, bye, Pierre
PS : Les photos de famille sont un bon point de départ pour toute conversation, et nous avions chacun les nôtres dans la poche, prêtes à passer de main en main, avec maints commentaires et moult questions. Vous constatez qu'elles ont beaucoup servi et souffert. Je suis navré, Amélie, je ne placerai personne sur le pli à l'avenir... Je n'y avais pas songé, mais je ne vais quand même pas remplacer ce document authentique qui m'a accompagné là-bas, loin, si loin, par un tirage neuf !
Avant même de les montrer, surtout dans les campagnes, il fallait prévenir que les femmes n'y étaient pas voilées. Et là non plus, nous n'y avions pas songé... Mais que deux fils sur trois aient les cheveux longs n'avait aucune importance.
Alors, de mon côté, je vous présente Sylvie et notre fille Marie-Céleste, puis nos fils Jean-Baptiste et Quentin. Avec le premier, voici donc sa femme Amélie et leur fils Valentin. Petit-fils se dit "navé", et à chaque fois je pensais à mon professeur de conversation que cela faisait rire. Par contagion, j'en riais aussi, et chacun pensait que Valentin était un coquin !
Evidemment, il fallait préciser les âges, et j'étais toujours flatté que celui de Jean-Baptiste soit accueilli avec incrédulité.
Je le dis, Jean-Baptiste ? L'été dernier, tu avais trente ans !
Oui, Jean-Baptiste est l'aîné.
Je note que certains sont en couleur et d'autres seulement en noir et blanc... Faut-il en tirer un conclusion
RépondreSupprimerMarie-Céleste
Je ne peux pas répondre.
RépondreSupprimerEt Valentin ?
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerValentin rêve en couleurs, ou en noir et blanc, à cette heure.
RépondreSupprimerSon père n'en tire pas non plus de conclusion...