Découvrir toutes les facettes d’un pays, voilà qui est impossible en deux mois évidemment. Mais en explorer le plus possible, nous le tentons chaque jour. Parfois, il faut l’avouer à notre corps défendant : ainsi nous voilà confrontés aux arcanes des administrations. Cela demande patience, force de caractère, finances, abnégation... J’en passe... Et il faut même aller jusqu’à la capitale, abandonnant Marie-Hélène et Yvon !
Pendant ces démarches que Sylvie effectue, il m’arrive de patienter dans la rue. Je suis indésirable avec tous mes bagages. Là, je me résigne, j’ai l’air prostré, je me fonds dans le paysage : je le sais car on me demande des renseignements comme à un vieux téhéranais. Je comprends alors que la nonchalance dont on accuse les iraniens, ni insouciance, ni indifférence, est un accablement devant l’inanité des situations. Et me voilà, à mon tour en situation ! Alors, tourne mon esprit, à vide, au ralenti. Et cela dure.
Yvon, dont le frère est sosie de Bill Clinton, risque aussi de passer pour américain, en moins grand et moins joufflu. D’autant que son nez ne trahit rien d’iranien, à moins d’avoir été refait trois fois. Par contre, si je n’ai pas non plus le profil idéal, de face le tour est joué, et avec un joli pansement blanc, je leurrerais n’importe qui. Euh... bouche fermée, bien sûr. Donc je répète : moi je suis iranien quand Yvon n’est pas là. Iranien par le corps, oui, et ce jour là par l’esprit aussi, sur mon banc de pierre, à guetter la porte où Sylvie apparaîtra.
Trois heures comme ça !
A côté de moi, une famille trie des imprimés à même le sol : une centaine de formulaires qu’il faut classer avant d’entrer, et je m’implique, je crains un courant d’air. Leur fils s’échappe par instant pour une autre photocopie et revient la glisser dans une chemise rose ou verte : oui, j’ai bien observé.
Au loin, je vois des glaces comme nous aimons, mais il n’est pas question de m’absenter. Les glaces sont fraîches. Je sais qu’elles le sont. C’est comme ça, les glaces. Froid.
La rivière était froide, pour me baigner. 15 degrés. C’est MA rivière. J'ai un petit galet de mon premier bain.
"La Zayandé, c'est ma rivière... comme la Seine est la tienne"...
Non, non, en 1966, je chantais plutôt : "Ame câline offre nid tout près des étoiles, près du soleil, pour logis, pour la vie ou peut être plus" !
Vous voyez, l’esprit vagabond, chez moi, ce n’est pas Schopenhauer, et en plus ma mémoire n’en fait qu’à sa tête : elle récite Polnareff ancré dans mes neurones après quarante ans d’oubli ! Rassurez-vous, je récite aussi le bateau ivre. La preuve ? "Et dès lors, je me suis baigné dans le poème de la mer, infusé d’astres et lactescent", etc.
Ah ! Vivement que j’aère mes poumons au vent marin, et que je brasse les flots de la Grande Grève ! Je dis ça parce que les pots d’échappements crachent, et qu’il faut me reconstruire à cause du sac.
Tout ça sur mon banc où j’attends, tel un iranien, je l’ai dit, devant l’Histoire.
Enfin, Sylvie apparaît ! Ebranlée, mais exaucée : nous partons à toute vitesse vers Abyaneh, où Marie-Hélène et Yvon nous attendent. En définitive, nous établissons un record de célérité administrative, en 36 heures pour cette dernière étape de Téhéran-express. A Chirâz, la première aussi était bien réussie.
Donc, tout va bien : et nous achetons des tapis. C’est une bonne thérapie. Les tapis, c’est confort pour l’oeil et pour le pied. Les tapis, ici, c’est vrai, sont merveilleux.
Nous avons choisi des tapis nomades : l’un Bakhtiâri et l’autre Qachghaï.
Pierre
PS : cette fois la symbolique est plus énigmatique. Convenez que l'emblème de l'Administration peut être le scribe. Mais mes scribes sont très disparates, du plus mystique au plus prosaïque. Pour aggraver la confusion, je ne déchiffre pas tout, et j'espère que cette confrontation improbable ne passe pas pour un blasphème. Même quand j'y glisse mon crayon noir : oui, c'est l'original de ce journal !
Ah ben je ne connaissais pas encore ces photos et je ne m'etais pas bien rendu compte de ta detresse en attendant Sylvie sur les trottoirs de Teheran.je me rends compte que j'ai failli te retrouver transforme apres toutes ces divagations mais j'ai ete rassure ainsi que Marie-Helene de vous revoir comme nous vous avions quittes a Kashan.Nous avons pus ainsi continuer notre periple dans les meilleures conditions.Bonne continuation dans ton recit qui ne me rappelle que de bons souvenirs.A bientot sur les chemins.
RépondreSupprimer