Vendredi 31 juillet, de Téhéran à Paris, 57ème jour
Ce n’est pas notre meilleure nuit.
6h : la file pour l’enregistrement des bagages se constitue, longue et lente. L’inquiétude latente pour la sortie de Sylvie se réveille. Je répète qu’une bonne dose d’insouciance est indispensable pour profiter pleinement de ce voyage. Je n’en manquais pas jusque là, et j'écrivais ce qui suit dans le mail n°17 passé à la trappe :
"Allez, on y croit quand même.
Mais, de ? en ?, je ne conseille plus aux copains cette destination
pour détendre les nerfs,
pour gagner en sérénité,
pour se la couler douce,
pour évacuer les cauchemars,
pour buller benoîtement...
Mais si vous voulez vous forger l’âme,
tester votre résistance,
crier dans la rue,
perdre du poids,
venez ici, c’est le paradis !"
Et, à l'évidence, c'est le paradis car nous aimons l'imprévisible, les questions sans réponses et les incertitudes.
Je n’ai pas de doutes sur la validité du laissez-passer et du visa iranien de sortie, qui ont été visés et supervisés trente-six fois, bien que cela se résume curieusement à trois pauvres cachets qui empiètent les uns sur les autres au dos même du laissez-passer.
Mais il y a un mais !
Lors de la prise d’empreintes digitales à l’arrivée, un échange malencontreux entre celles de Sylvie et celles d’une autre française a probablement eu lieu. Non, a certainement eu lieu ! Mais peut-être a-t-il été rectifié. Nous le jouons à 1 contre 9. Autant dire sans espoir...
Or le visa de sortie a nécessité de nouvelles empreintes, et la comparaison des deux prises révélerait une différence fort suspecte et fort préjudiciable. Suspecte, car la première raison plausible sera celle d'une supercherie et d'une évasion organisée. Préjudiciable, vous me direz que c'est subjectif, mais viendriez-vous nous remplacer ?
Moi, je n’ai plus que deux jours de visa, et je risque d’être expulsé en abandonnant ici Sylvie à son sort : depuis huit jours, j’imagine la scène des adieux ! Oui, oui, j'ai de l'imagination pour les scénarios. Allez, on reprend à zéro.
Et là, l’employé ne pige que couic à cet imprimé trop ordinaire : comment accorder foi à une simple feuille A4 ? Il demande le passeport !
In petto : "Le passeport est dans une poubelle à Chirâz ! C'est clair, non ?"
Il part. Il part avec le sacro-saint formulaire ! Ah ! Qu'il ne l'égare pas ! Et il s’en revient pas vraiment convaincu... Nous nous regardons dans les yeux... L'ordinateur ne retrouve pas Sylvie à l'entrée dans le pays.
J'ai une "fulgurance" in extremis : j’ai gardé sur moi, et non pas dans les bagages enregistrés, le dépôt de plainte à l’Ambassade. Il y figure le n° du passeport volé que je peux énoncer glorieusement pour la quinzième fois au moins. Mais, bon sang, qui le note ???
Bravo ! Grâce à lui, l’ordinateur retrouve Sylvie, elle est bien entrée en Iran, oui, et elle peut donc en sortir, oui ! Ah, bon ? C’est tout ?
Nous voilà en zone internationale. Nous sommes sauvés. Les geôles d’Ahmadinejâd ne verront pas Sylvie cette fois-ci. A vrai dire, il n'en était pas question. Je dois être un peu manipulateur... Nous avons quand même une pensée pour Clotilde Reiss.
Nous n’avons été interrogés ni sur nos achats, ni sur nos photos, ni sur nos faits et gestes sur place. Tout est simple, et dans l’avion les femmes ôtent leur foulard en survolant le lac d’Oroumieh, à moins que ce soit celui de Van : nous quittons la République Islamique.
Merci, Ô Administration de la République Islamique pas plus tatillonne en fin de compte que notre Administration républicaine française : vous vous voyez petit touriste iranien à Paris sans papiers ?
Quel voyage ! Quelle chance de l’avoir vécu !
A Montparnasse, je quitte mon petit trio que la Bretagne attend, je vais voir Quentin avant son départ pour Barcelone, et rencontrer Wassily Kandinsky à Beaubourg. Paris est une fête.
Ce n’est pas notre meilleure nuit.
6h : la file pour l’enregistrement des bagages se constitue, longue et lente. L’inquiétude latente pour la sortie de Sylvie se réveille. Je répète qu’une bonne dose d’insouciance est indispensable pour profiter pleinement de ce voyage. Je n’en manquais pas jusque là, et j'écrivais ce qui suit dans le mail n°17 passé à la trappe :
"Allez, on y croit quand même.
Mais, de ? en ?, je ne conseille plus aux copains cette destination
pour détendre les nerfs,
pour gagner en sérénité,
pour se la couler douce,
pour évacuer les cauchemars,
pour buller benoîtement...
Mais si vous voulez vous forger l’âme,
tester votre résistance,
crier dans la rue,
perdre du poids,
venez ici, c’est le paradis !"
Et, à l'évidence, c'est le paradis car nous aimons l'imprévisible, les questions sans réponses et les incertitudes.
Je n’ai pas de doutes sur la validité du laissez-passer et du visa iranien de sortie, qui ont été visés et supervisés trente-six fois, bien que cela se résume curieusement à trois pauvres cachets qui empiètent les uns sur les autres au dos même du laissez-passer.
Mais il y a un mais !
Lors de la prise d’empreintes digitales à l’arrivée, un échange malencontreux entre celles de Sylvie et celles d’une autre française a probablement eu lieu. Non, a certainement eu lieu ! Mais peut-être a-t-il été rectifié. Nous le jouons à 1 contre 9. Autant dire sans espoir...
Or le visa de sortie a nécessité de nouvelles empreintes, et la comparaison des deux prises révélerait une différence fort suspecte et fort préjudiciable. Suspecte, car la première raison plausible sera celle d'une supercherie et d'une évasion organisée. Préjudiciable, vous me direz que c'est subjectif, mais viendriez-vous nous remplacer ?
Moi, je n’ai plus que deux jours de visa, et je risque d’être expulsé en abandonnant ici Sylvie à son sort : depuis huit jours, j’imagine la scène des adieux ! Oui, oui, j'ai de l'imagination pour les scénarios. Allez, on reprend à zéro.
Sur le drapeau de la République,
l'emblème central figure le nom stylisé d'Allah :
l'emblème central figure le nom stylisé d'Allah :
اللّه
La queue avance et nous voilà devant l’hôtesse, qui tique et grimace à la lecture de notre paperasse. L’avis du responsable de l’enregistrement est requis. Il est conciliant, et pour les bagages l’avis s’avère vite favorable. Bon, si Sylvie reste en Iran, ce sera avec ce qu’elle a sur le dos. Mais, optimistes, nous savons qu’une barrière est franchie. La seconde queue n’est pas plus courte pour le passage des passeports et nous patientons. Au guichet certains voyageurs rebroussent chemin, sans beaucoup rire, disparaissent ou reviennent, mais aujourd’hui aucun n’est interpellé. C’est enfin notre tour : nous passons avant Marie-Hélène et Yvon pour aviser ensemble si Sylvie est refoulée.Et là, l’employé ne pige que couic à cet imprimé trop ordinaire : comment accorder foi à une simple feuille A4 ? Il demande le passeport !
In petto : "Le passeport est dans une poubelle à Chirâz ! C'est clair, non ?"
Il part. Il part avec le sacro-saint formulaire ! Ah ! Qu'il ne l'égare pas ! Et il s’en revient pas vraiment convaincu... Nous nous regardons dans les yeux... L'ordinateur ne retrouve pas Sylvie à l'entrée dans le pays.
J'ai une "fulgurance" in extremis : j’ai gardé sur moi, et non pas dans les bagages enregistrés, le dépôt de plainte à l’Ambassade. Il y figure le n° du passeport volé que je peux énoncer glorieusement pour la quinzième fois au moins. Mais, bon sang, qui le note ???
Bravo ! Grâce à lui, l’ordinateur retrouve Sylvie, elle est bien entrée en Iran, oui, et elle peut donc en sortir, oui ! Ah, bon ? C’est tout ?
Nous voilà en zone internationale. Nous sommes sauvés. Les geôles d’Ahmadinejâd ne verront pas Sylvie cette fois-ci. A vrai dire, il n'en était pas question. Je dois être un peu manipulateur... Nous avons quand même une pensée pour Clotilde Reiss.
Nous n’avons été interrogés ni sur nos achats, ni sur nos photos, ni sur nos faits et gestes sur place. Tout est simple, et dans l’avion les femmes ôtent leur foulard en survolant le lac d’Oroumieh, à moins que ce soit celui de Van : nous quittons la République Islamique.
Merci, Ô Administration de la République Islamique pas plus tatillonne en fin de compte que notre Administration républicaine française : vous vous voyez petit touriste iranien à Paris sans papiers ?
Quel voyage ! Quelle chance de l’avoir vécu !
A Montparnasse, je quitte mon petit trio que la Bretagne attend, je vais voir Quentin avant son départ pour Barcelone, et rencontrer Wassily Kandinsky à Beaubourg. Paris est une fête.
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